Recueil de poésies françaises des XVème & XVIème siècles :
(réunies pas A. de Montaiglon en 1856)
LES TROIS VIFS & LES TROIS MORTS
Le premier Mort:
Beaux amis, tout premièrement
Non obstant quelconque richesse
Puissance, honneur, force ou jeunesse
Nous vous devançons tout de voir
Qu'il vous convient mort recevoir
Une mort, hélas, si douloureuse
Sy amère, sy angoisseuse
Que les morts, qui en sont de Livrés
Ne voudraient jamais revivrent
Pour mourir encore de tel mort.
Le second Mort:
Vous ne savez homme sans faille
Tant soit puissant, veuille ou non veuille
Qui ne souffre & qui ne se deuille
Ailleurs doncques repos querez
Car cy point ne le trouverez.
Le troisième Mort:
Faites du pis que vous pourrez
Lors arez perdurable vie,
Bonne ou male, ne doubtez mie
Dieu est juste, il paiera.
Le premier vif:
Pourquoi nous fit oncques Dieu naistre
En ce méchant monde, pour être
Si tôt livrez à tel ordure ?
De ma vie n'ay jamais cure
Car je vois que les gens qui vivent
Tant de malheureutez ensuivent
Que je prise trop mieux aseez
Le povre état de trépassez
Le second vif :
Hélas ! convient-il jeune gens
A telle horribleté venir
Oncque ne m'en peut souvenir,
Mais je vois bien que c'est à certes,
J'en vois les enseigner à pertes
De mort passeront les destrois
& deveurrons comme ces trois
C'est la fin de notre besogne.
Le troisième vif :
Certes, c'est bien dit, mais au fort
IL n'y a point de desconfort,
Tous nous convient passer ce pas
Deux voyes aurons devant nos yeux
Nous qui vivons, jeunes ou vieux
Une à joie & à repos maine
L'autre à tourment & à peine
Pour joie & repos avoir
Bien faire fault. Doit-on savoir
Qui mal fait & ne se repent.
Il aura peine & torment.